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Espaces Lacan
En rapport avec les documents sonores disponibles en archives 
au groupe Lutecium, 
les extraits que nous proposerons bientôt sur cette page sont une transcription 
écrite de la séance qui a été relue à l'aide de la bande son. 
  
  
    Dans un temps qui déjà remonte justement 
  si je me souviens bien à quelque chose, ça doit faire quoi, deux ans, ce n'est 
  pas énorme, il est sorti dans une revue que personne ne lit plus, dont le nom 
  même est désuet ..., La Nouvelle Revue Française, il est paru un 
  certain article qui s'appelait Exercices de style de Jacques Lacan. 
  C'était un article, moi, que j'ai signalé. J'étais à ce moment-là sous le toit 
  de l'Ecole Normale - enfin sous le toit, sous l'auvent, à la porte - j'ai dit 
  "lisez donc ça, c'est marrant". Il s'est avéré comme vous l'avez vu par la 
  suite que c'était peut-être un peu moins marrant que ça en avait l'air puisque 
  c'était en quelque sorte la clochette où j'avais plutôt, quoique je sois 
  sourd, à entendre confirmation de ce qui m'avait déjà été annoncé, que ma 
  place n'était plus sous cet auvent. C'est une confirmation que j'aurais pu 
  entendre parce que c'était écrit, enfin n'est-ce pas dans l'article. 
  
    C'était écrit, enfin quelque chose, je 
  dois dire de gros, que l'on pouvait espérer au moment où je ne serai plus sous 
  l'auvent de l'Ecole Normale, l'introduction, dans la dite Ecole, de la 
  linguistique. Je ne suis pas sûr de citer très exactement les termes, vous 
  pensez bien que je ne m'y suis pas reporté ce matin, puisque tout cela est 
  improvisé, de la linguistique de haute qualité, ou de haute tension ou de 
  n'importe quoi de cette espèce, enfin quelque chose qui désignait en effet que 
  la linguistique avait quelque chose mon dieu de galvaudé dans le sein de cette 
  Ecole Normale, au nom de quoi, grands Dieux, je n'étais pas chargé, dans 
  l'Ecole Normale, d'aucun enseignement, et si l'Ecole Normale se trouvait à 
  entendre cet auteur, si peu initié à la linguistique, ce n'était certainement 
  pas à moi qu'il fallait s'en prendre. 
    Ceci vous indique le point sur lequel j'entends 
  tout de même préciser quelque chose ce matin. C'est à savoir en effet ceci, 
  ceci qui est soulevé, et depuis quelque temps avec une sorte d'insistance, 
  c'est ce thème qui est repris d'une façon plus ou moins légère dans un certain 
  nombre d'interviews, il y a une question qui est soulevée autour de quelque 
  chose : est-on structuraliste ou pas quand on est linguiste ? Et on tend à se 
  démarquer, n'est-ce pas : je suis fonctionnaliste. Je suis fonctionnaliste, 
  pourquoi ? Parce que le structuralisme, c'est quelque chose d'ailleurs de pure 
  invention journalistique, c'est moi qui le dit, (salle : monsieur, on vous 
  entend très mal !), le structuralisme, c'est tout de même quelque chose qui 
  sert d'étiquette et qui bien sûr, étant donné ce qu'il inclut, à savoir un 
  certain sérieux, n'est pas sans inquiéter; à quoi bien sûr on tient à marquer 
  que, on se réserve. 
  
    La question du rapport de la linguistique 
  et de ce que j'enseigne est, autrement dit, ce que je veux mettre au premier 
  plan de façon en quelque sorte à dissiper, dissiper j'espère de façon qui 
  fasse date, une certaine équivoque. Les linguistes, et les linguistes 
  universitaires, entendraient en somme se réserver le privilège de parler du 
  langage. Et le fait que c'est autour du développement linguistique que se 
  tient l'axe de mon enseignement aurait quelque chose d'abusif qui est dénoncé 
  selon les formules diverses dont la principale est celle-ci : c'est me 
  semble-t-il en tout cas la plus consistante, que de la linguistique il est 
  fait, dans le champ qui se trouve celui auquel je m'en sers, dans celui aussi 
  dans lequel quelqu'un qui certes en l'occasion mériterait qu'on y regarde d'un 
  peu plus près, beaucoup plus que pour ce qui est de moi, parce que l'on peut 
  n'avoir qu'une idée assez vague, du moins je trouve, c'est Levi-Strauss par 
  exemple ; et alors Levi-Strauss, par exemple et puis quelques autres, encore, 
  Roland Barthes, le croiraient aussi, que nous ferions de la linguistique un 
  usage - je cite - un usage métaphorique. Et bien, c'est en effet là-dessus que 
  je voudrai bien marquer quelques points. 
    Il y a quelque chose d'abord qu'il faudrait dire 
  parce que c'est quand même inscrit, inscrit dans quelque chose qui compte : le 
  fait que je sois encore là à soutenir ce discours, le fait que vous y soyez 
  aussi pour l'entendre me l'assure. C'est que, il faut bien croire qu'une 
  formule n'est pas tout à fait déplacée concernant ce discours en tant que je 
  le tiens, c'est que d'une certaine façon, enfin disons que je sais, je sais 
  quoi ?  [...]1, 
  il semble prouvé que je sais à quoi m'en tenir. 
    La tenue d'une certaine place, celle, je le 
  souligne, cette place n'est autre, je le souligne parce que je n'ai pas à 
  l'énoncer pour la première fois, je passe mon temps à bien répéter que c'est 
  de là que je me tiens, de la place que j'identifie à celle d'un psychanalyste. 
  La question après tout peut être discutée puisque bien des psychanalystes la 
  discuteraient, mais enfin c'est à quoi je m'en tiens. Ce n'est pas tout à fait 
  pareil que si j'énonçais : je sais où je me tiens, non pas parce que le "je" 
  serait répété dans la deuxième partie de la phrase, mais c'est là que le 
  langage montre toujours ses ressources, c'est-à-dire je sais où je me tiens, 
  c'est sur "où" que porterait l'accent de ce que je 
  me targuerais de savoir. 
    J'aurais, 
  si je puis dire, j'aurais la carte, le mapping de la chose. Et pourquoi 
  après tout que je l'aurais pas ! Eh bien, il y a une forte raison sans 
  laquelle je ne saurais même soutenir que je sais où je me tiens, ça, c'est 
  vraiment dans l'axe de ce que j'ai cette année à vous dire ; c'est que le 
  principe de la science, tel que le procès en est pour nous engagé, je parle de 
  ce à quoi je me réfère quand je lui donne pour sens la science newtonienne, 
  l'introduction du champ newtonien, c'est qu'en aucun domaine de la science, on 
  ne l'a ce mapping, cette carte pour nous dire où l'on est et qu'en plus tout 
  le monde est d'accord là-dessus que, pour qu'en vaille l'aune de l'objection 
  qui peut être faite dès que l'on commence à parler de la carte justement, de 
  son hasard et de sa nécessité, et bien, n'importe qui, n'importe qui est en 
  posture de vous objecter que vous ne faites plus de la science, mais de la 
  philosophie. Cela ne veut pas dire que n'importe qui sait ce qu'il dit en le 
  disant, mais enfin il est dans une position très forte. Le discours de la 
  science réduit cet "où nous en sommes". Ce n'est pas avec ça qu'il 
  opère. 
  
    L'hypothèse, rappelez-vous Newton, 
  affirmant qu'il n'en feignait aucune, l'hypothèse employée pourtant ne 
  concerne jamais le fond des choses. L'hypothèse dans le champ scientifique, et 
  quoi qu'en pense quiconque, l'hypothèse participe avant tout de la logique. Il 
  y a un si, le conditionnel d'une vérité qui n'est jamais que 
  logiquement articulée, alors, apodose, un conséquent doit être 
  vérifiable. Il est vérifiable à son niveau, tel qu'il s'articule. Cela ne 
  prouve en rien la vérité de l'hypothèse. Je ne suis absolument pas en train de 
  dire que la science est là qui nage comme pure construction, qu'elle ne mord 
  pas sur le réel. 
    Dire que ça ne 
  prouve pas la vérité de l'hypothèse, c'est simplement rappeler ce que je viens 
  de dire à savoir que l'implication en logique n'implique nullement qu'une 
  conclusion vraie ne puisse pas être tirée d'une prémisse fausse. Il n'en reste 
  pas moins que la vérité de l'hypothèse, dans un champ scientifique établi, se 
  reconnaît de l'ordre qu'elle donne à l'ensemble du champ en tant qu'il a son 
  statut. Et son statut ne peut pas se définir autrement que du consentement de 
  tous ceux qui sont autorisés dans ce champ, autrement dit : du champ 
  scientifique, le statut est universitaire. 
  
    C'est des choses qui peuvent paraître 
  grosses. Il n'en reste pas moins que c'est ça qui motive qu'on donne le niveau 
  de l'articulation du discours universitaire, tel que j'ai essayé de le faire 
  l'année dernière. 
    Or ! or il est 
  clair que la façon dont je l'ai articulé est la seule qui permette de 
  s'apercevoir pourquoi il n'est pas accidentel, caduque, lié à je ne sais quel 
  accident, que le statut du développement de la science comporte la présence, 
  la subvention d'autres entités sociales qu'on connaît bien, de l'armée par 
  exemple, ou de la marine, comme on dit encore et de quelques autres comme ça, 
  éléments d'un certain ameublement. 
    
  C'est tout à fait légitime, si nous voyons que radicalement le discours 
  universitaire ne saurait s'articuler qu'à partir du discours du Maître. La 
  répartition des domaines dans un champ dont le statut est universitaire, voilà 
  d'où seulement peut se poser la question de ce qui arrive, mais d'abord de si 
  c'est possible qu'un discours s'intitule autrement. 
    C'est là que s'introduit dans sa massivité, je 
  m'excuse, je m'excuse de repartir d'un point vraiment aussi originel, mais 
  après tout puisque peuvent venir, es personnes autorisées, peut-être 
  linguistes, des objections comme celle-ci que de la linguistique je ne fais 
  qu'un usage métaphorique, je dois rappeler, je dois répondre, quelle que soit 
  l'occasion à laquelle je le fais, et je le fais ce matin en raison du fait que 
  je m'attendais à rencontrer une atmosphère plus combative. 
    Eh bien, donc je dois rappeler ceci : c'est que si 
  je peux dire décemment "je sais", je sais quoi ? Parce qu'après tout, 
  peut-être que je me place quelque part, à un endroit que le nommé Mencius, 
  dont je vous ai introduit le nom la dernière fois, que le dénommé Mencius 
  peut-être peut nous servir à définir. Bon. 
    Reste que si - que Mencius me protège ! - je  
  sais à quoi m'en tenir, il me faut dire en même temps que je ne sais pas ce 
  que je dis. Je sais ce que je dis, autrement dit : c'est ce que je ne peux pas 
  dire. 
    Ca, c'est la date, la date 
  que marque ceci, qu'il y a Freud et qu'il a introduit l'inconscient. 
  L'inconscient ne veut rien dire, si ça ne veut pas dire ça, que quoi que je 
  dise et d'où que je me tienne, même si je me tiens bien, eh bien, je ne sais 
  pas ce que je dis. Et aucun des discours tels que l'année dernière je les ai 
  définis ne laisse espoir, ne permet à quiconque, à quiconque qui profère quoi 
  que ce soit, de prétendre espérer même d'aucune façon savoir ce qu'il 
  dit. 
    Je dis, même si je ne sais 
  pas ce que je dis, seulement je le sais que je ne le sais pas, je ne suis pas 
  le premier à dire quelque chose dans ces conditions, ça s'est déjà entendu, je 
  dis que la cause de ceci n'est à chercher que dans le langage lui-même. 
  
    C'est ce que j'ajoute de nouveau, ce que 
  j'ajoute à Freud, même si dans Freud c'est déjà là patent, parce que quoi que 
  ce soit qu'il démontre de l'inconscient n'est jamais rien que matière de 
  langage. J'ajoute que l'inconscient est structuré comme un langage. 
  
    Lequel ? Et bien justement cherchez-le, 
  c'est du français, du chinois que je vous causerai. Du moins je le voudrais. 
  Il n'est que trop clair qu'à un certain niveau ce que je cause c'est de 
  l'aigreur, très spécialement du côté des linguistes. C'est de nature plutôt à 
  faire penser que le statut universitaire, cela n'est que trop évident dans les 
  développements, cela impose à la linguistique de tourner à une drôle de chose. 
  D'après ce que l'on en voit, ce n'est pas douteux. Que l'on me dénonce dans 
  cette occasion, mon Dieu, ce n'est pas une chose qui a tellement d'importance, 
  qu'on ne discute pas, ça n'est pas non plus très surprenant, puisque ça n'est 
  pas d'une certaine définition du domaine universitaire que je me tiens, que je 
  peux me tenir. 
    Ce qu'il y a 
  d'amusant, n'est-ce pas, c'est qu'il est évident, évident que nous ne sommes 
  pas pour rien, que d'un certain nombre de gens dans lesquels je me suis rangé 
  tout à l'heure, en y ajoutant deux autres noms, et je pourrais en ajouter 
  encore quelques-uns, c'est évidemment à partir de nous, enfin que la 
  linguistique comme ça  voit s'accroître le nombre de ses postes, ceux que 
  décomptait ce matin dans le journal le ministère de l'Éducation Nationale, et 
  puis aussi le nombre des étudiants. 
    Enfin, l'intérêt, la vague d'intérêt que j'ai 
  contribué à apporter à la linguistique est, paraît-il, un intérêt qui vient de 
  l'ignorance. Et bien, ce n'est pas déjà si mal ! Ils étaient ignorants avant, 
  mais maintenant ils s'intéressent. J'ai réussi à intéresser les ignorants à 
  quelque chose en plus qui n'était pas mon but, parce que la linguistique, je 
  vais vous dire : moi je m'en fous ! 
    Ce qui m'intéresse directement, c'est le langage, 
  parce que je pense que c'est à ça que j'ai à faire, à ça que j'ai à faire 
  quand j'ai à faire une psychanalyse. L'objet linguistique, c'est aux 
  linguistes de le définir. 
    Dans le 
  champ de la science, chaque domaine progresse de définir son objet. Ils le 
  définissent comme ils l'entendent et ils ajoutent que j'en fais un usage 
  métaphorique. C'est tout de même curieux que les linguistes ne voient pas que 
  tout usage du langage, quel qu'il soit, se déplace dans la métaphore, qu'il 
  n'y a de langage que métaphorique, comme le démontre toute tentative de 
  "métalangagier" si je puis m'exprimer ainsi, qui ne peut faire autrement que 
  d'essayer de partir de ce que l'on définit toujours chaque fois que l'on 
  avance dans un effort de logicien, de définir d'abord un langage objet, dont 
  il est clair, dont il se touche du doigt aux énoncés de n'importe lesquels de 
  ces essais logiciens, qu'il est insaisissable, ce langage objet. 
  
    Il est de la nature du langage, je ne dis 
  pas de la parole, que du langage même, pour ce qui est d'accrocher quoi que ce 
  soit qui signifie, le référent n'est jamais le bon, et c'est ça qui fait un 
  langage. 
    Toute désignation est 
  métaphorique. Elle ne peut se faire que par l'intermédiaire d'autre chose. 
  Même si je dis "ça", "ça" en le désignant, (rires) et bien, j'implique déjà 
  d'avoir appelé "ça" que je choisis de n'en faire que ça. Alors que ça n'est 
  pas ça, la preuve c'est que quand j'allume, c'est autre chose. 
  
(coupure son 47-48'20) 
  
    Même au niveau du "ça", de ce fameux "ça" 
  qui serait le réduit du particulier, de l'individuel, nous ne pouvons omettre 
  que c'est un fait du langage de dire "ça" et qu'à le désigner comme ça, ça 
  n'est pas mon cigare. Ce l'est quand je le fume et quand je le fume, je n'en 
  parle pas. 
  
Le signifiant à quoi se réfère le discours, à l'occasion, quand il y a discours, il apparaît que nous ne pouvons guère y échapper qu'il discourt, c'est à quoi se réfère le discours à propos de quelque chose... dont il peut bien, ce signifiant, être le seul support. Il évoque de sa nature un référent. Seulement ça ne peut pas être le bon et c'est pour cela que le référent est toujours réel, parce qu'il est impossible à désigner, moyennant quoi, il ne reste plus qu'à le construire. Et on le construit si l'on peut.
    Il n'y a aucune raison que je me prive, 
  enfin je ne vais pas vous rappeler tout de même ce que vous savez tous, parce 
  que vous l'avez lu dans un tas d'ordures occultisantes, n'est-ce pas, dont 
  vous vous abreuvez, comme chacun sait, je ne parle pas du Yin et du Yang, 
  comme tout le monde vous savez cela : le mâle et le femelle. 
    C'est quelque chose comme ça. Je le dessine comme 
  ça, [peu distinct, quand il écrit au tableau] : voilà le Yang et puis le Yin, 
  je vous le ferai une autre fois ! (rires). Je le ferai une autre fois parce 
  que dans le fond, je ne vois pas pourquoi ces caractères chinois qui ne sont 
  que pour peu d'entre vous quelque chose, j'en abuserai. 
    Je vais m'en servir quand même. Nous ne sommes pas 
  non plus là pour faire des tours de passe-passe. Si je vous en parle, c'est 
  parce qu'il est bien évident que voilà l'exemple de référents introuvables, ça 
  ne veut pas dire, tous, qu'ils ne soient pas réels. La preuve, c'est que nous 
  en sommes encore encombrés. 
    Si je 
  fais un usage métaphorique de la linguistique, c'est à partir de ceci, c'est 
  que l'inconscient ne peut se conformer à une recherche, je dis la 
  linguistique, qui est insoutenable. Cela n'empêche pas de la continuer, bien 
  sûr, c'est une gageure. Mais j'ai déjà fait assez usage de la gageure pour 
  savoir, pour que vous sachiez plutôt, que vous soupçonniez que ça peut servir 
  à quelque chose. C'est aussi important de perdre que de gagner. 
  
    La linguistique ne peut être qu'une 
  métaphore, qui se fabrique pour ne pas marcher. Mais en fin de compte, cela 
  nous intéresse beaucoup, parce que vous allez le voir, vous allez le voir. Je 
  vous l'annonce, c'est ça que j'ai à vous dire cette année, c'est que la 
  psychanalyse, elle, c'est dans cette même métaphore qu'elle se déplace, toutes 
  voiles dehors. C'est bien là ce qui m'a suggéré ce retour comme ça, après tout 
  on sait ce que c'est, à mon vieux petit acquis de chinois, comme ça. 
  
    Après tout, pourquoi est-ce que je 
  n'aurai pas entendu, pas trop mal, quand j'ai appris cela avec mon cher Maître 
  Demiéville 
  ? J'étais déjà psychanalyste. Alors qu'il y ait une langue quand même dans 
  laquelle ceci se dit Wei ... je l'écris plus ou moins bien avec la 
  craie, c'est quand même assez clair, je vais le refaire, apprenez à le faire 
  parce que... (rires, inaudible), ça, c'est wei et ça fonctionne à la 
  fois dans la formule wou wei  qui veut dire "non-agir", donc ça 
  veut dire "agir", mais pour un rien vous voyez wei employé comme 
  "comme", ça veut dire "comme", c'est-à-dire que ça sert de conjonction pour 
  faire métaphore. 
    Ou bien encore ça 
  veut dire "en tant que ça se réfère à telle chose", on y est encore plus dans 
  la métaphore, en tant que ça se réfère à quelque chose, c'est-à-dire justement 
  que ça n'en est pas, puisque c'est bien forcé de s'y référer, enfin une chose 
  se réfère à une autre. La plus grande largeur, la plus grande souplesse est 
  donnée à l'usage éventuel de ce terme wei qui veut néanmoins dire 
  "agir". 
    C'est pas mal une langue 
  comme ça, une langue où les verbes, enfin les verbes les plus verbes : agir, 
  qu'est-ce qu'il y a de plus verbe, qu'est-ce qu'il y a de plus verbe actif, se 
  transforment en menues conjonctions, ça c'est courant. 
    Cela m'a beaucoup aidé quand même à généraliser la 
  fonction du signifiant, même si cela fait mal aux entournures à quelques 
  linguistes qui ne savent pas le chinois. Moi, je voudrais bien demander à un 
  certain, par exemple, comment pour lui, la double articulation, ce qu'il 
  fait...  enfin la double, depuis des années, la double articulation, on 
  en crève ! La double articulation : qu'est-ce qu'il en fait en chinois ? hein 
  ! 
    En chinois, voyez-vous, c'est la 
  première, et toute seule, et puis qui se trouve comme ça produire un sens qui 
  de temps en temps fait que, comme tous les mots monosyllabiques, on ne va pas 
  dire qu'il y a le phonème qui ne veut rien dire et puis les mots qui veulent 
  dire quelque chose : deux articulations à deux niveaux. Même le phonème, au 
  niveau du phonème, ça veut dire quelque chose. Cela n'empêche pas que quand 
  même quand vous mettez plusieurs phonèmes qui veulent déjà dire quelque chose 
  ensemble, ça fait un grand mot de plusieurs syllabes, tout à fait comme chez 
  nous, et qui a un sens qui n'a aucun rapport avec ce que veulent dire chacun 
  des phonèmes. 
    Voilà ! Alors la 
  double articulation, elle est marrante, là. C'est drôle qu'on ne se souvienne 
  pas qu'il y a une langue comme ça, quand on énonce comme générale une fonction 
  de la double articulation comme caractéristique du langage. 
    Je veux bien que tout ce que je dis soit une 
  connerie, mais qu'on m'explique ! 
    
  Qu'il y ait un linguiste ici qui vienne me dire en quoi la double articulation 
  tient à autre chose [...]2! 
  
    Alors ce Wei comme cela, pour vous 
  habituer, je vous l'introduis, comme on dit, tout doucement. Je vous en 
  apporterai le minimum d'autres, mais enfin qui puissent servir à quelque 
  chose. Ca allège bien des choses d'ailleurs que ce verbe soit à la fois "agir" 
  et puis la conjonction de la métaphore. Peut-être que "Im Amfang war die 
  Tat" comme il dit l'autre là, que l'agir était tout au commencement, c'est 
  peut-être exactement la même chose que dire (enarchei...): "Au 
  commencement était le verbe". Il n'y a peut-être pas d'autre agir que 
  celui-là. 
    Ce qu'il y a de 
  terrible, c'est que je peux  vous mener comme ça longtemps avec la 
  métaphore et que plus loin j'irai, plus loin vous serez fourvoyé, parce que 
  justement le propre de la métaphore, c'est de ne pas être toute seule : il y a 
  aussi la métonymie qui fonctionne pendant ce temps-là et même pendant que je 
  vous parle, parce que quand même la métaphore comme disent ces gens très 
  compétents, très sympathiques qui s'appellent les linguistes. Ils sont même si 
  compétents qu'ils ont été forcés d'inventer la notion de compétence. La 
  langue, c'est la compétence en elle-même. Et en plus c'est vrai, on n'est 
  compétent en rien d'autre. Seulement, comme ils s'en sont aperçus aussi, il 
  n'y a qu'une façon de le prouver : c'est la performance. 
    C'est eux qui appellent ça ainsi. Moi pas, je n'en 
  ai pas besoin. Je suis en train de la faire, la performance, et en faisant la 
  performance de vous parler de la métaphore, naturellement je vous floue, parce 
  que la seule chose intéressante, c'est ce qui se passe dans la performance : 
  c'est la production du plus-de-jouir, du vôtre et de celui que vous m'imputez 
  quand vous réfléchissez. 
    Cela vous 
  arrive surtout quand vous vous demandez ce que je fous là. Il faut bien croire 
  que ça doit me faire plaisir. Au niveau du plus-de-jouir, on presse, comme je 
  l'ai déjà expliqué, c'est à ce niveau-là que se fait l'opération de la 
  métonymie, grâce à quoi vous pouvez à peu près être emmenés n'importe où, 
  conduits par le bout du nez. Naturellement pas simplement déplacés dans le 
  couloir. Mais c'est pas ça qui est intéressant de vous emmener dans le 
  couloir, ni même de vous battre sur la place publique. L'intéressant, c'est de 
  vous garder là, bien rangés, bien serrés, bien pressés, les uns contre les 
  autres. Pendant que vous êtes là, vous ne nuisez à personne (rires). 
  
    Ca nous mènera assez loin, ce petit 
  badinage, parce que c'est tout de même à partir de là que nous essaierons 
  d'articuler la fonction du Hi. 
    Vous comprenez, je vous rappelle cette histoire du 
  plus-de-jouir, je vous la rappelle enfin comme je peux. Il est bien certain 
  qu'il n'a été définissable par moi qu'à partir de quoi ? D'une sérieuse 
  édification, celle de la relation d'objet telle qu'elle se dégage de 
  l'expérience dite freudienne, ça ne suffit pas ! ça suffit pas, il a fallu que 
  cette relation, je la coule, je lui fasse godet de la plus-value de Marx, ce 
  que personne n'avait songé pour cet usage. 
    La plus-value de Marx, ça ne s'imagine pas comme 
  ça. Si ça s'invente, c'est au sens où le mot invention veut dire que l'on 
  trouve une bonne chose déjà bien installée dans un petit coin, autrement dit 
  qu'on fait une trouvaille. Pour faire une trouvaille, il fallait que ça soit 
  déjà assez bien poli, rodé, par quoi ? Par un discours. Alors le 
  plus-de-jouir, comme la plus-value, ne sont détectables que dans un discours 
  développé dont il n'est pas question de discuter qu'on puisse le définir comme 
  le discours du capitaliste. 
    Vous 
  n'êtes pas bien curieux et puis surtout peu interventionnistes, de sorte que 
  l'année dernière, quand je vous ai parlé du discours du Maître, personne n'est 
  venu me chatouiller pour me demander comment ça se situait là-dedans, le 
  discours du capitaliste. 
    Moi 
  j'attendais ça. Je ne demande qu'à vous l'expliquer, surtout que c'est simple 
  comme tout : un tout petit truc qui tourne et votre discours du Maître se 
  montre tout ce qu'il y a de plus transformable dans le discours du 
  capitaliste. 
    L'important ce n'est 
  pas cela, la référence à Marx était suffisante pour montrer que cela avait le 
  plus profond rapport avec le discours du Maître. Ce à quoi je veux en venir, 
  c'est ceci, c'est que pour attraper quelque chose d'aussi essentiel que ce qui 
  est là disons support, support, chacun sait que je ne vous en abreuve pas, 
  c'est bien la chose du monde dont je me méfie le plus, parce que c'est avec ça 
  bien sûr que l'on fait les pires extrapolations, c'est avec ça que l'on fait 
  pour tout dire la psychologie. La psychologie, c'est qu'elle nous est bien 
  nécessaire pour pouvoir arriver à penser la fonction du langage. 
  
    Alors quand je réalise que le 
  plus-de-jouir, son support c'est la métonymie, c'est bien que là j'y suis 
  entièrement justifié, c'est ce qui fait que vous me suiviez, par le fait que 
  le plus-de-jouir est essentiellement un objet glissant. Il est impossible 
  d'arrêter ce glissement en aucun point de la phrase. 
    Néanmoins pourquoi nous refuser à nous apercevoir 
  que le fait qu'il soit utilisable dans un discours - linguistique ou pas, je 
  l'ai déjà dit, ça m'est égal -, dans un discours qui est le mien, et qu'il ne 
  le soit qu'à s'emprunter, non au discours, mais à la logique du capitalisme, 
  est quelque chose qui nous introduit, ou plutôt nous ramène à ce que j'ai 
  avancé la dernière fois et qui a laissé certains un peu perplexes. Chacun sait 
  que je finis toujours ce que j'ai à vous raconter dans un petit galop parce 
  que peut-être j'ai trop traîné, musardé avant, certains me le disent. Que 
  voulez-vous, chacun son rythme ! C'est comme ça que je fais l'amour. 
  
    Je vous ai parlé d'une logique 
  sous-développée, ça a laissé comme ça certains se gratter la tête. Qu'est-ce 
  que ça va être cette logique sous-développée ? Je vous demande pardon de ceci 
  : j'avais auparavant bien marqué que ce que véhicule l'extension du 
  capitalisme, c'est le sous-développement. Enfin je vais le dire maintenant, 
  parce que quelqu'un que j'ai rencontré à la sortie et à qui j'ai fait une 
  confidence... j'aurai voulu illustrer la chose en disant que Monsieur Nixon, 
  c'est en somme Houphouët-Boigny en personne ... oh ! Vous auriez dû le dire, 
  m'a-t-il répondu. Eh bien je vous le dis. La seule différence entre les deux, 
  c'est que Monsieur Nixon a été psychanalysé (rires) d'une certaine façon, 
  dit-on. Eh bien, vous voyez le résultat ! (rires). Quand quelqu'un a été 
  psychanalysé d'une certaine façon, et ça c'est toujours vrai, dans tous les 
  cas, quand quelqu'un a été psychanalysé d'une certaine façon, dans un certain 
  champ, une certaine école, par des gens que l'on peut nommer, et bien c'est 
  incurable (rires). Il faut tout de même dire les choses comme elles sont. 
  C'est incurable, et ça va même très loin. Il est par exemple manifeste qu'il 
  est exclu que quelqu'un qui a été psychanalysé quelque part, dans un certain 
  endroit, par certaines personnes, non, non, pas par n'importe lesquelles, et 
  bien il ne peut rien comprendre à ce que je dis ! ça s'est vu et il y a des 
  preuves. Il sort même tous les jours des bouquins pour le prouver. 
  
    Que je sois tout seul, cela soulève tout 
  de même des questions sur ce qu'il en est des possibilités de la performance, 
  à savoir de fonctionner dans un certain discours. 
  
    Donc si le discours est suffisamment 
  développé, il y a quelque chose, disons rien de plus, qu'il se trouve que 
  c'est vous. Mais cela n'est qu'un pur accident. Personne ne sait votre rapport 
  à ce quelque chose qui vous intéresse quand même. Voilà c'est comme ça que ça 
  s'écrit... ça se lit comme ça dans une transcription classique française : 
  Sin. 
    Vous mettez un H devant, 
  c'est la transcription anglaise. C'est la plus récente transcription chinoise, 
  si je ne m'y trompe pas, parce qu'après tout c'est purement conventionnel. 
  C'est écrit comme ça. Cela s'écrit Tsin, ça se prononce sin, 
  c'est la nature, c'est cette nature quand même dont vous avez pu voir que je 
  suis loin de l'exclure dans l'affaire. 
    Si vous n'êtes pas complètement sourdingues, vous 
  avez quand même pu remarquer que la première chose qui valait la peine d'être 
  retenue dans ce que je vous ai dit dans le premier entretien, c'est que le 
  signifiant, j'ai bien insisté, il cavale partout dans la nature. Je vous ai 
  parlé des étoiles, des constellations, plus exactement ...  il y a étoile 
  et étoile. Depuis des siècles quand même... Le ciel, c'est ça, c'est le 
  premier trait, celui qui est au-dessus, là qui est important. C'est un 
  plateau, un tableau noir puisque l'on me reproche de me servir du tableau 
  noir, c'est tout ce qu'il nous reste comme ciel, mes bons amis, c'est pour 
  cela que je m'en sers, pour mettre dessus ce qui doit être vos 
  constellations. 
  
    Alors le discours suffisamment développé, 
  de ce discours il résulte que tous tant que vous êtes et que vous soyez ici ou 
  aux U.S.A., c'est le même tabac, et de même ailleurs, vous êtes 
  sous-développés par rapport à ce discours. Je parle de ce quelque chose, ce 
  quelque chose à quoi il s'agit de s'intéresser et qui est certainement ce dont 
  on parle quand on parle de votre sous-développement. 
    Où le situer exactement ? Qu'en dire ? 
  
    Ce n'est pas faire de la philosophie que 
  de demander de ce qui arrive quelle est la substance. 
    Il y a des choses dans ce cher Meng Tzeu. Et comme 
  après tout je n'ai pas de raison de vous faire droguer, je n'ai véritablement 
  aucun espoir que vous fassiez l'effort de vous y mettre, je vais donc aller 
  aussi bien, pourquoi pas, à ce que je devrai ménager de trois étages 
  d'échelons, surtout qu'il nous y dit des choses fort intéressantes. 
  
    Il y a un truc, on ne sait pas comment 
  cela sort d'ailleurs, c'est fait Dieu sait comment, c'est un collage, les 
  choses se suivent, comme on dit, et ne se ressemblent pas. Enfin bref, à côté 
  de cette notion du Sin, de la nature, sort tout d'un coup celle du 
  Ming, du décret du ciel. Evidemment, je pourrai très bien m'en tenir au 
  Ming, au décret du ciel, c'est à savoir continuer mon discours, ce qui 
  veut dire en somme, c'est comme ça parce que c'est comme ça, un jour la 
  science poussa sur notre terrain. 
    
  En même temps le capitalisme faisait des siennes, et puis, mon Dieu, il y a un 
  type, on ne sait pourquoi, décret du ciel !  il y a Marx qui a en somme 
  assuré au capitalisme une assez longue survie. 
    Et puis il y a Freud qui tout à coup a été inquiet 
  de quelque chose qui manifestement devenait le seul élément d'intérêt qui eut 
  encore quelque rapport avec cette chose que l'on avait autrefois rêvée et qui 
  s'appelait la connaissance. Enfin dans une époque où il n'y avait plus la 
  moindre trace de quelque chose qui ait un sens de cette espèce, il s'est 
  aperçu qu'il y avait le symptôme. 
    
  C'est là que nous en sommes. Le symptôme, c'est autour de quoi tourne tout ce 
  dont nous pouvons, comme on dit, avoir l'idée. C'est là-dessus que vous vous 
  orientez, tous tant que vous êtes. La seule chose qui vous intéresse, qui ne 
  tombe pas à plat, qui ne soit pas simplement inepte comme information, ce sont 
  des choses qui ont l'apparence de symptômes, c'est-à-dire en principe des 
  choses qui vous font signe, mais à quoi on ne comprend rien. C'est la seule 
  chose sûre. Je vous dirai comment… 
    
  L'homme, c'est intraduisible, c'est comme ça, c'est le type bien, fait très 
  curieux, ce détour de jonglerie et d'échange entre le Sin et le 
  Ming. C'est évidemment beaucoup trop calé pour que je vous en parle 
  aujourd'hui, mais je le mets à l'horizon, à la pointe pour vous dire que c'est 
  là qu'il faudra en venir, puisque de toute façon le Sin, ce quelque 
  chose qui ne va pas, qui est sous-développé, il faut bien savoir où le 
  mettre. 
    Qu'il puisse vouloir dire 
  la nature, cela n'a pas quelque chose de pas très satisfaisant, vu l'état où 
  en sont les choses pour ce qui est de l'histoire naturelle. Ce Sin, il 
  n'y a aussi aucune espèce de chance pour que nous le trouvions dans ce truc 
  rudement calé à obtenir, à serrer de près qui s'appelle le plus-de-jouir. Si 
  c'est si glissant, ça ne rend pas facile de mettre la main dessus. C'est tout 
  de même certainement pas à ça que nous nous référons quand nous parlons de 
  sous-développement. 
  
    Je sais bien qu'il faut terminer 
  maintenant parce que, mon Dieu, l'heure s'avance, je vais vous laisser 
  peut-être un petit peu trop en haleine. Tout de même je vais revenir en 
  arrière sur le plan de l'agir métaphorique, et pour vous dire en quoi, 
  puisqu'aujourd'hui ça a été mon pivot, la linguistique convenablement filtrée, 
  critiquée, focalisée, enfin pour tout dire à condition que nous en fassions 
  exactement ce que nous voulons. Ce que font les linguistes, pourquoi ne pas en 
  tirer profit ? Il peut arriver qu'ils fassent quelque chose d'utile. Si la 
  linguistique est ce que je disais tout à l'heure : une métaphore qui se 
  fabrique exprès pour ne pas marcher, cela peut peut-être donner des idées pour 
  ce qui pourrait bien, pour nous, être notre but. 
    D'où nous, nous tenons avec Meng Tzeu, et puis 
  quelques autres, à son époque ils savaient ce qu'ils disaient, parce qu'il ne 
  faudrait pas confondre quand même le sous-développement avec le retour à un 
  état archaïque, ce n'est pas parce que Meng Tzeu vivait au III ème siècle 
  avant J.C. que je vous le présente comme une mentalité primitive, je vous le 
  présente comme quelqu'un qui, dans ce qu'il disait, savait probablement une 
  part des choses que nous ne savons pas quand nous disons la même chose. 
  
    Et alors, c'est ça peut-être, qui peut 
  nous servir. Apprendre avec lui à soutenir une métaphore, non pas fabriquée 
  pour ne pas marcher, mais dont nous suspendions l'action, c'est là peut-être 
  la voie nécessaire, j'en resterai là aujourd'hui, pour un discours qui ne 
  serait pas du semblant. 
  
  
